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Le Chien Noir – Lucie Baratte : un diamant sanglant

Bonjour tout le monde ! Je vous retrouve aujourd’hui pour vous présenter mon nouveau coup de coeur. Il s’agit du Chien Noir de Lucie Baratte, une réécriture gothique de Barbe-Bleue.

Titre : Le Chien Noir

Autrice : Lucie Baratte

Editeur : Editions du Typhon

Pages : 188

Il était une fois un conte obscurci, englouti par un océan de ténèbres, qui gisait tout au fond du foyer des histoires, étouffé en secret sous le gris de la cendre.

Dans un pays lointain, la jeune Eugénie est mariée de force au mystérieux Roi Barbiche par son père. Commence alors pour elle un voyage aux confins du monde qui l’entrainera dans un château rempli de noirceur.

Pensé à la fois comme une relecture de Barbe bleue, une réponse littéraire aux contes des Précieuses du XVIIIe siècle et aux romans magiques d’Angela Carter, Le chien noir s’inscrit dans une histoire féminine de la littérature. Celle d’Anaïs Nin, de Mary Webb, en passant par les sœurs Brontë?; des autrices qui refusent l’ordre établi et le bousculent par l’expression d’un désir éclatant. La mise en lumière de l’étrangeté personnelle devient ainsi une arme d’émancipation.

TW : viol, torture, meurtre, violences conjugales, infanticide

A la vue de ces Trigger Warning, Le Chien Noir pourrait peut-être vous faire fuir et je suis la première étonnée à avoir tant apprécié cette œuvre, moi qui suis d’habitude peu friande de telles violences. Je pense qu’un tel roman ne serait pas passer s’il avait été écrit par quelqu’un d’autre, mais Lucie Baratte a le talent pour surpasser ces horreurs et ne pas s’y enfermer. Elles ont un sens dans le récit, dans le parcours du personnage et ne se réduisent en rien en un simple torture porn. Soyez tout de même avertis avant de vous lancer dans cette lecture car ce conte noir peut être éprouvant.

J’ai lu Le Chien Noir juste après La Compagnie des Loups et ce fut un choix judicieux tant la filiation entre les deux œuvres est palpable. C’est une suite logique, un héritage qui a su reprendre l’essence gothique d’Angela Carter pour aller encore plus loin dans l’horreur. D’ailleurs, l’autrice dédie son roman à Carter et à Mme d’Aulnoy, autrice de contes injustement oubliées comme La Chatte Blanche et L’Oiseau Bleu. Le mélange est bien là : le roman est à la fois un conte dans sa forme (le Il était une fois répété au début de chaque chapitre tel un refrain) et ses personnages, mais aussi un récit gothique dont il reprend les codes : la demeure isolée, la jeune fille en danger, l’étrange domestique, le mystérieux époux…

Le Chien Noir est un mélange entre Barbe-Bleue et La Belle et la Bête, l’histoire d’une adolescente prisonnière d’une puissance patriarcale. D’abord à la merci d’un père sanguinaire, elle est mariée de force à un roi tout aussi cruel. Sur sa route, elle croisera un étrange chien noir. L’animal deviendra son compagnon d’infortune et son seul soutien pour survivre au calvaire qui commence. J’ai eu plaisir à suivre Eugénie. On comprend vite que la clé du récit (objet qui a toute son importance dans Barbe-Bleue) sera celle de son émancipation, de sa liberté. Ce qui se cache derrière la porte interdite est bien pire encore que dans le conte de Perrault. Mais ces horreurs ne symbolisent pas une curiosité qui doit être punie. Au contraire, elles sont le chemin nécessaire pour prendre la fuite.

Dans cet immense château isolé sur une île coupée du monde, l’autrice peint un tableau en noir et blanc à l’esthétique aussi macabre que fascinante, avec des giclés de rouge (des passages assez gores révélant toutes les horreurs de l’âme humaine). J’y ai reconnu des clins d’œil au Cabinet Sanglant (le Barbe-Bleue de Carter), une ambiance m’évoquant parfois La Belle et la Bête de Cocteau. Mention spéciale à Lanterne, dont le prénom est peut-être un clin d’œil au Lumière de Disney, mais qui se révèle être aux antipodes de celui-ci. C’est un domestique qui ne semble pas tout à fait humain, que l’on ne peut jamais cerner, dévoué à Barbiche, à la fois traître et compatissant envers Eugénie. Les scènes les plus sombres m’ont évoqué l’éclipse de Berserk (un traumatisme pour ceux qui l’ont lue). Le tout est magnifié par la plume de Lucie Baratte qui m’a tenue en haleine sans que je puisse lâcher ce roman dévoré en une après-midi.

Le Chien Noir est donc un cauchemar sublime pour un public averti. Un diamant noir finement taillé et enduit de sang, donnant une parure finale magnifiquement macabre. Sa fin renoue avec les traditions du conte et celles de mythologies plus anciennes, pour une conclusion aussi intime que grandiose.

Coup de coeur !

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